Le domaine technologique qui a subi le plus d’innovations depuis le début de la course à l’espace est très certainement celui des moyens de propulsion : en effet, pour se soustraire à la gravité de la Terre, et pour voyager dans l’espace, une grande quantité d’énergie est nécessaire. La source d’énergie et son carburant doivent en plus être embarqués dans le vaisseau, ce qui représente encore aujourd’hui un défi technique considérable.
Depuis les premiers systèmes de propulsion, hérités des missiles V2 (voir missile V2), ces derniers se sont perfectionnés, ont gagné en efficacité et en complexité pour aujourd’hui envisager un aller-retour habité vers d’autres planètes (voir Les missions vers Mars).
Il existe actuellement une multitude de systèmes, adaptés à une utilisation précise : certaines produiront une forte poussée pendant une durée limitée (pour échapper à la gravité de la Terre, par exemple), tandis que d’autres produiront une poussée modérée mais sur de très longues périodes (voyages interplanétaires).
1. Historique

Figure 1 – Un soldat chinois s’apprête à lancer une « flèche de feu »
Bien qu’il soit difficile de déterminer la base de l’élaboration des fusées sur le plan historique, plusieurs documents (for Fig.1) nous indiquent que, bien avant le 19ème siècle, le peuple chinois utilisait déjà un système de propulsion de ce type.
Déjà au premier siècle après Jésus-Christ les chinois utilisaient des fusées rudimentaires pour des utilisations religieuses. Ces engins n’étaient qu’en fait des tubes de bambou où l’on chargeait du salpêtre, du soufre et de la poudre de charbon. Après des expertises d’homme de sciences asiatiques, ils attachèrent ceci à des flèches et comprirent que l’échappement de gaz se suffisait à lui-même pour la propulsion.
Tous s’entendent pour fixer à 1232 la date à laquelle une véritable fusée a été utilisée: Lors de la bataille de Kai-Keng les chinois ont repoussé les mongols grâce à une forme rudimentaire de fusées à carburant solide appelées « flèches de feu ».
Au 17ème siècle, Isaac Newton fonde des lois sur les mouvements, ce qui permettra d’avancer dans la recherche en fuséologie.

Figure 2 - Constantin Tsiolkovsky, "le père de l'astronautique moderne"
Au début du 20ème siècle, Constantin Tsiolkovsky, dans son livre L'exploration de l'espace cosmique par des engins à réaction (1903), jette les bases nécessaires de fuséologie pour échapper à la gravité terrestre et envoyer un objet dans l’espace.
C’est pendant et après la seconde guerre mondiale que les technologies de propulsion se sont grandement améliorées : la fusée V2, utilisée par les Allemands de 1943 à 1945, servira plus tard de base pour les premières fusées soviétiques. En effet, son système de propulsion permettait d’atteindre de très hautes altitudes.
Alimenté principalement par les tensions politiques de la guerre froide et la course à l’espace, le développement des systèmes de propulsion explose dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Toujours plus puissants, les évolutions des missiles atteignaient des altitudes de plus en plus grandes, pour finalement quitter la Terre : héritier du V2, la fusée soviétique R-7 Semyorka envoie le premier satellite artificiel le 4 octobre 1957.
Ces évolutions se prolongeront pendant la fin du 20ème siècle, avec notamment le système de propulsion ultra puissant de la navette spatiale américaine et le récent développement du moteur ionique.
Au 21ème siècle, les infrastructures de recherche en physique des particules, sans cesse agrandies et toujours plus puissantes (le LHC européen, par exemple), rendent la perspective d'un propulseur à antimatière un peu moins extravagante qu'elle paraissait à la fin du 20ème siècle, et ouvrent de nouveaux horizons d'exploration, jusque là impossibles à atteindre.
2. Termes utilisés

Figure 3 - Les forces s'exerçant sur la navette spatiale lors de son décollage. En bleu l'action, en rouge la réaction (aucune échelle respectée).
- Propulsion par réaction :
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La propulsion engendrée par un moteur-fusée est basée sur un principe très simple : il s’agit de la troisième loi de Newton, dite de l’action et de la réaction (voir Fig. 3).
« Tout corps A exerçant une force sur un corps B subit une force d'intensité égale, de même direction mais de sens opposé, exercée par le corps B. »
Troisième loi du mouvement
- Impulsion spécifique :
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Ce terme est très souvent utilisé pour décrire l’efficacité des systèmes de propulsion. Elle se calcule par le rapport de la poussée délivrée par un moteur fusée, exprimée en Newton, par le débit multiplié par le poids de propergol éjecté. Elle s'exprime en secondes et représente le temps durant lequel 1 kg de propergol est capable de produire une force de 9,81 Newton. Donc, plus cette valeur est grande, plus la quantité nécessaire de carburant est faible pour générer la poussée.
- Ergol :
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Terme désignant un constituant initial des produits éjectés par un système propulsif : soit le carburant, soit le comburant.
3. La propulsion chimique

Figure 5 - Schéma de fonctionnement d'un moteur chimique à ergols liquides.
C'est le système de propulsion actuellement utilisé en majorité : en effet, c’est le seul système assez développé pour échapper à la gravité terrestre. La poussée est produite par la réaction entre un carburant et un comburant, appelés ergols. Cette réaction produit un gaz sous très haute pression, qui est expulsé par l’intermédiaire d’une tuyère, pour produire la force de poussée et propulser le vaisseau (La forme de la tuyère est un élément clé pour la performance du système).
Le principal inconvénient de ce système est le fait qu'il nécessite une réserve très importante de carburant, car malgré la forte poussée produite,le rendement est assez faible (beaucoup de carburant consommé pour une poussée relativement faible). De plus, dans le cas d’une propulsion dans l’espace, le comburant et le carburant doivent être emportés, puisque l’air (le comburant utilisé sur Terre) n’est pas présent dans l’espace. Bien que les ingénieurs en astronautique aient acquis une certaine maîtrise du domaine lors de la couse à l’espace, le moteur en lui-même reste assez difficile à réaliser, à cause des contraintes physiques énormes que subissent les composants (par exemple, la tuyère doit résister à des températures atteignant 3300°C) ainsi que de l’extrême complexité du système d’alimentation en carburant (pour que la propulsion soit efficace, le carburant doit être pressurisé avant d’être injecté dans la chambre de combustion).
Dans le cadre de la propulsion spatiale, il existe de nombreux couples d’ergols (la plupart étant liquides) dont l’efficacité est variable. Parmi ceux encore utilisés, on trouve :

Figure 4 - Une réplique du moteur Vulcain équipant la fusée Ariane 5. Le système extrêmement complexe de turbopompe est visible surmontant la tuyère.
- Le couple dihydrogène liquide (LH2) / dioxygène liquide (LOX). C’est l’un des couples les plus efficaces, cependant, il nécessite des températures de stockage extrêmement basses (de l’ordre de -253°C, pour le dihydrogène), et donc des réservoirs imposants. Il est notamment utilisé dans la fusée Ariane 5 et la Navette Spatiale Américaine.
- Le couple dioxygène liquide (LOX) / Kérosène. Il a été utilisé notamment dans la fusée Saturn V, célèbre pour avoir emmené les premiers hommes sur la Lune.
- Le couple diméthylhydrazine asymétrique (UDMH) / Peroxyde d’azote (N2O4). Ce couple est assez efficace, mais le diméthylhydrazine est hautement toxique et cancérigène.
4. La propulsion thermonucléaire
Ce système, qui semble à première vue prometteur, se révèle pourtant assez difficile à mettre en œuvre . Il consiste simplement en une version embarquée d’un réacteur nucléaire, utilisé pour chauffer de l’hydrogène liquide à plus de 2500°C avant d’être éjecté pour produire la poussée, de la même façon que la propulsion chimique conventionnelle.
Il a l’avantage de produire une poussée très importante. Il nécessite cependant un réacteur très lourd, ce qui, en fin de compte, rend ce système assez inefficace. De plus, les produits éjectés par la tuyère sont hautement radioactifs, ce qui causerait un désastre écologique si le moteur était mis en fonctionnement depuis la Terre.
Le temps du trajet vers Mars est estimé à 6 mois, mais après des tests de ces fusées par la NASA dans les années 1960, ce système est actuellement abandonné, du fait de la forte opposition du public.
5. La propulsion ionique

Figure 6 - Un moteur ionique lors d'un test au Jet Propulsion Laboratory. La lueur bleue est émise par les ions sortant du moteur. Le test est réalisé dans une chambre à vide.
D'autres moteurs utilisent une réaction non chimique pour la production de la poussée. Leur puissance reste souvent modeste, mais grâce à une faible consommation, ils procurent une accélération constante de très longue durée (permettant ainsi d'atteindre de grandes vitesses après une longue accélération). Ils sont utilisés pour la propulsion de sondes ou de véhicules interplanétaires. C’est le cas des moteurs ioniques.
Ce type de propulsion, comme son nom l’indique, utilise des ions (des atomes ayant perdu ou gagné des électrons, et devenant ainsi chargés) accélérés par un champ électrique ou magnétique (ou les deux combinés) pour créer une force de poussée, et donc assurer la propulsion de l’engin, conformément à la troisième loi de Newton. Comparés aux moteurs chimiques, les moteurs ioniques produisent une poussée relativement faible, mais possèdent une impulsion spécifique très grande (de l’ordre de 3000 secondes), ce qui les rend intéressants dans des voyages interplanétaires. De plus, la mise en œuvre d’un système propulsif ionique est généralement facile, puisque, outre le fait que le principe de propulsion soit assez simple, l’énergie électrique qu’il utilise est, à ce jour, assez bien maitrisée, ce qui apporte une plus grande flexibilité au niveau de la réalisation et de l’intégration du moteur au vaisseau spatial. Ces systèmes font actuellement l’objet de recherches poussées, et de nouveaux moteurs toujours plus puissants sortent des laboratoires de recherche (notamment le NASA Jet Propulsion Laboratory).
Figure 7 - Fonctionnement détaillé d'un moteur ionique électrostatique.

On compte plusieurs types de moteurs ioniques :
- Le moteur ionique électrostatique :
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Ce type de propulseur produit les ions en bombardant des atomes de gaz (du xénon, choisi pour sa masse atomique élevée et son énergie d’ionisation faible) avec des électrons. Les ions ainsi formés sont ensuite accélérés lors de leur passage à travers deux grilles chargées positivement et négativement. Les ions sont ainsi propulsés à des vitesses pouvant atteindre 29000 m/s.
- Le moteur ionique électromagnétique :
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Les ions sont produits de la même façon qu’avec un moteur ionique électrostatique, mais sont accélérés à l’aide d’un champ magnétique, ce qui évite tout contact du carburant avec le système accélérateur, augmentant ainsi la durée de vie du moteur.
- Le moteur à effet Hall :
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Ce moteur utilise une combinaison entre un champ magnétique et électrique pour accélérer les ions. Il fait aussi appel à l’effet Hall, processus complexe qui ne sera pas étudié dans cet exposé.
Les premiers engins pouvant être qualifiés de « moteur à ions » remontent à 1959 : Harold R. Kaufman, un physicien Américain, construit le premier moteur ionique électrostatique. Ces prototypes avaient une poussée trop faible pour être utilisés à fins de propulsion. Parallèlement, un autre type de moteur ionique, exploitant l’effet Hall, était en cours de développement par l’URSS. Dès cette époque l’URSS a commencé à en équiper certains satellites. Leur rôle se limitait surtout à stabiliser le vaisseau spatial. Aujourd’hui, après de nombreuses améliorations du système, plusieurs orbiteurs et sondes sont équipés de moteurs ioniques. Parmi eux, on peut citer le satellite Européen SMART-1, équipé d’un moteur à effet Hall construit par la société française Snecma.
6. Le système VASIMR (Variable Specific Impulse Magnetoplasma Rocket)
Ce système de propulsion, sur le même principe que le moteur à ions électromagnétique, accélère des ions en utilisant un fort champ électromagnétique pour produire une force de poussée. La principale différence se situe au niveau du mode de création des ions, beaucoup plus puissant et efficace : des atomes de gaz sont injectés dans le système, puis sont ionisés à l’aide de radiofréquences, qui créent une induction électromagnétique qui porte le gaz ionisé (devenu un plasma) à de très hautes températures (30000 kelvins). A la sortie du propulseur, un système comparable accélère le plasma et porte sa température à environ 10 MK (méga kelvins). Il est ensuite expulsé par une tuyère qui, grâce à un champ magnétique, permet de contrôler la trajectoire du jet. L'impulsion spécifique pourrait atteindre 30000 secondes.
VASIMR est une solution polyvalente, alternative aux deux systèmes spécialisés existant que sont les propulseurs à haute poussée et à faible impulsion spécifique (comme les moteurs-fusées à propulsion chimique) d'un côté, et les propulseurs à faible poussée et à haute impulsion spécifique (comme les moteurs ioniques) de l'autre, car il est capable de fonctionner dans les deux modes en ajustant à tout moment ses paramètres de fonctionnement.
La NASA estime à trois mois le temps de trajet nécessaire pour atteindre Mars avec un vaisseau équipé d’un tel système. Il reste cependant encore à l’état expérimental.
7. D'autres systèmes
Il existe de nombreux autres systèmes de propulsion originaux, mais le développement technologique actuel ne permet pas de les mettre en œuvre. Parmi ces systèmes « exotiques », on trouve les voiles solaires (poussées par le rayonnement solaire), et, à l’extrême, le propulseur à antimatière (il permettrait de convertir toute la masse des réactifs, un échantillon de matière et son antimatière, en énergie). Ceux-ci, n’étant que peu documentés et, pour la plupart, ne dépassant pas le cadre théorique, ne seront pas étudiés en détail dans cet exposé.
- Mars : Les moteurs du voyage : http://www.futura-sciences.com/fr/doc/t/astronautique-1/d/mars-les-moteurs-du-voyage_316/c3/221/p1/ par Richard Heidmann
- Advanced Space Propulsion Laboratory – VASIMR : http://spaceflight.nasa.gov/shuttle/support/researching/aspl/vasimr.html
- Impulsion spécifique : http://fr.wikipedia.org/wiki/Impulsion_sp%C3%A9cifique
- Dictionnaire de l'Astronautique : Thomas de Galiana, Larousse, 1964
- http://www.sciencepresse.qc.ca/clafleur/ : site web du journaliste scientifique Claude Lafleur
- A Timeline of Rocket History : http://history.msfc.nasa.gov/rocketry/
- Encyclopedia Astronautica : http://www.astronautix.com/index.html